“On déconfine ses kilos !”, disait le gros titre du magazine Elle de Mai 2020. Aussi sexistes que grossophobes, ces mots sont malheureusement le reflet de l’image de la femme renvoyée par les magazines féminins : une femme réduite à son rôle de ménagère, d’épouse ou de petite amie, dont la priorité, en pleine crise sanitaire, économique, environnementale et culturelle mondiale, est naturellement de perdre ses “kilos en trop”.
Bien que cette vérité ne concerne pas toutes les publications destinées à un lectorat féminin, la plupart sont impliqués. Mais en quoi la presse féminine peut-elle être misogyne ?
La presse féminine désigne l’ensemble des magazines et articles de presse destinés aux femmes. La grande majorité ont comme thèmes la mode, la beauté, la minceur, les relations amoureuses ou encore la cuisine, la décoration ou la vie de famille. Comme nous pouvons le constater, il s’agit d’une belle brochette de sujets très progressistes, qui constituent bien évidemment les seuls et principaux intérêts de la majorité des femmes du 21ème siècle. Avez-vous déja vu une femme faire autre chose que se maquiller, s’habiller, faire le ménage ou chercher à cacher les bourrelets de son ventre ? Ce serait bien étrange, je vous l’accorde. Plus sérieusement, je ne qualifie absolument pas ces sujets de futiles ou superficiels : en tant que jeune femme, ce sont des thèmes susceptibles de susciter mon interêt. Toutefois, à l’ère actuelle, j’aurais espéré que des magazines destinés aux femmes traitent de sujets plus représentatifs de ce qu’elles sont véritablement et qui ne renvoient donc pas à des codes du genre extrêmement datés. Effectivement, il s’agit de stéréotypes datant d’une époque durant laquelle les femmes étaient dépourvues de droits et avaient une voix et une volonté qui n’importaient pas, ce qui ne devrait évidemment plus être le cas aujourd’hui.
Ces magazines sont, par ailleurs, présentés comme le “manuel de la femme parfaite”. D’une part, l’appellation magazine “féminin” et les noms comme “Femme Actuelle” le montrent comme une lecture obligatoire de tous les êtres humains avec lesquels ce type de magazine partage l’adjectif “féminin”, et auquel les femmes devraient s’identifier et se référer. D’autre part, ce genre de publications donnent des conseils sur tous les domaines par lesquels la femme doit être concernée et dans lesquels elle doit “assurer” pour être accomplie, selon ces magazines. Vous vous devez donc, mesdames, de suivre au pied de la lettre ce guide exhaustif de tout ce qu’une femme digne de ce nom se doit d’être. Ainsi, vous devez être bien habillées, bien maquillées, avoir une belle maison, être dans une relation parfaite, savoir faire la cuisine et avoir une taille de pantalon inférieure ou égale à 32. C’est le magazine qui le dit (bien qu’ implicitement), ce n’est pas moi !
Cette pression sur la gent féminine ne fait d’ailleurs qu’accroître par la prise de conscience (très hypocrite) de certains magazines qui deviennent ainsi ambivalents: mi-traditionnels, mi-féministes (je pense que vous avez déjà remarqué quel est le problème). En effet, dans le but de paraître au goût du jour, certains d’entre eux commencent à traiter d’actualité politique ou culturelle. Alors à présent, une femme doit non seulement avoir une apparence irréprochable mais aussi être cultivée et informée. Je vous conseille donc, mesdames, de lire ainsi chaque rubrique de Glamour bien attentivement pour comprendre enfin comment perfectionner chaque aspect de votre vie et donc enfin être la femme parfaite promue par ces publications et enfin désirée par tous les hommes qui croiseraient votre chemin (puisque, bien évidemment, cela est votre principal objectif)…
On peut également relever un autre souci majeur. La presse féminine joue plus ou moins vicieusement sur les complexes des femmes, en les faisant paraître trop vieilles, trop grosses et j’en passe, devant leurs propres yeux. Une manipulation des plus efficaces: beaucoup d’entre nous se rueraient sans doute sur un article avec en photo la mannequin de Victoria Secret Gigi Hadid et son corps dit “parfait”, ayant comme gros titre “Solution pour en finir avec vos kilos !” (car le simple fait d’avoir un poids est, en toute logique, problématique). Nous vivons malheureusement dans une société qui nous a conditionnées, depuis la plus tendre enfance, à toujours vouloir paraître plus mince et à nous trouver constamment trop grasses. La presse féminine, ayant pour objectif de faire un maximum de ventes, a vu cette triste vérité comme une opportunité. Ainsi, face à un ventre plat si valorisé et des jambes fines si glorifiées, même les plus confiantes parmi nous ont parfois du mal à résister. Cette culture du régime, qui peut mener, au mieux, à une relation malsaine avec son corps, et au pire, à des troubles du comportement alimentaire, est, vous l’aurez compris, davantage propagée et intériorisée par ce genre de publications grossophobes déguisées.
Vous pensez peut-être que vos “ami(e)s” qui vous traitent de tous types de créatures derrière votre dos sont hypocrites, mais ce n’est rien comparé à la presse féminine. En effet, l’ambivalence de certains magazines mentionnée précédemment est contradictoire et même dangereuse. Par exemple, un magazine soignera son image en utilisant du papier recyclé mais n’hésitera pas à écrire sur ce dernier “Comment enfin perdre ses trois kilos de trop: solution miracle !” (décidément, les kilos semblent être notre seule préoccupation !) : il va aborder des problématiques progressistes et adopter des démarches très modernes pour attirer un public jeune, mais va conserver son ADN plus traditionnel pour, justement, conserver son lectorat d’origine, des femmes plus âgées. Ainsi, ces magazines passent pour féministes et progressistes, alors qu’ils publient des articles très traditionnels encore profondément imprégnés de sexisme, ce qui permet de véhiculer des pensées misogynes de manière plus fourbe et donc de les intérioriser inconsciemment.
Enfin, le dernier problème à souligner est le manque cruel de diversité dans la représentation de la femme. Sont représentées uniquement les femmes blanches, minces et hétérosexuelles, et sont délaissées les femmes noires, rondes et/ou lesbiennes. Dans les magazines qui se revendiquent comme féministes, ce phénomène, qui en devient d’autant plus néfaste, est nommé le féminisme blanc, qui consiste à un semblant d’égalité pour les femmes blanches, minces et hétérosexuelles mais un sexisme caché envers les femmes qui ne répondent pas à ces trois critères.
Alors, quelle serait la solution ? Bannir ces magazines ? À mon avis, trois actions sont à entreprendre. La première est de supprimer, de toute publication de tout média d’ailleurs, des phénomènes aussi misogynes que la culture du régime par exemple. La seconde est de promouvoir, toujours dans tous les médias, un féminisme intersectionnel, en représentant des femmes noires, métisses, rondes, lesbiennes avec leurs vergetures et leur cellulite (des femmes comme celles que l’on voit et que l’on est dans la vraie vie, quoi). Enfin, il faudrait diviser le magazine féminin en plusieurs magazines, chacun spécifique à un thème particulier comme la beauté ou la décoration, sans leur donner un genre. Cela permettrait d’éliminer les codes du genre, qui qualifient le maquillage comme purement féminin et inaccessible à l’homme par exemple.
Le magazine féminin ne faisant pas réellement partie du quotidien des jeunes femmes aujourd’hui (et heureusement), il reste très présent dans les foyers et se propage progressivement sur Internet et sur les réseaux sociaux. Cependant, que ce soit une réduction de la femme à son rôle de ménagère, un culte de la minceur exagéré ou un féminisme blanc caché, ces magazines prônent des valeurs très traditionnelles et qui vont à l’encontre des mouvements féministes libérateurs que voit se développer notre génération. Il faudrait alors remédier à ses stéréotypes sexistes et transformer le magazine féminin en plusieurs magazines spécialisés. Il pourrait même se tourner vers la presse féministe, et traiter de problématiques autour de l’émancipation des femmes. Cette transformation d’un média si prescripteur en un allié féministe serait déterminante et représenterait un énorme progrès pour la gente féminine dans son combat quotidien.
Alia Guedira
Sources :
https://www.lesechos.fr/2018/03/la-presse-feminine-en-plein-bouleversement-987313
https://www.grazia.fr/news-et-societe/societe/pour-ou-contre-lire-des-magazines-feminins-931814
https://www.telerama.fr/ecrans/sur-youtube-la-presse-feminine-est-elle-feministe-6747022.php