Le séisme au Maroc

Accoudée au rebord de la fenêtre, je laisse un instant mon regard se perdre dans les couleurs du couchant. Le rose et le orange se fondent à merveille dans les pâturages, l’herbe se tinte d’or, et les fières montagnes semblent se rengorger avec orgueil et volupté, comme satisfaites d’être enveloppées dans le plus délicieux des manteaux d’hermine, leurs cimes verdoyantes pointant crânement. Je les regarde s’embraser avec plaisir, en inspirant une grande goulée d’air.

Mon attention se porte vers Kamel qui arrive au loin avec son troupeau de moutons. Il s’accroupit devant un ruisseau, et mettant ses mains en coupe, il se désaltère.

Je fixe paresseusement l’eau claire qui coule entre ses doigts, la terre coincée sous ses ongles, ses avant-bras tachetés par le soleil. Un ricanement me sort de mon voyeurisme.

– Il te plaît vraiment, hein ?

M’interroge une petite voix moqueuse.

Je me tourne vers Bassime, mon petit frère, le menton et les joues barbouillés de miel, une pâtisserie collante entre les mains. Ce n’est pas possible ! Il en a jusque dans les cheveux !

– Quel petit emmerdeur ! Viens ici que je te nettoie !

Je m’exclame en m’élançant vers lui qui aussitôt s’empresse de déguerpir.

Une bonne heure plus tard, j’aide à dresser la table, qui croule sous le pain, le fromage, les cruches de lait frais, et une pléthore de gâteaux aux dates et au miel en tout genre. Ce soir, c’est jour de fête ! maria, la fille ainée de nos voisins, la sœur de Kamel donc, a été promise à un garçon des environs. Un évènement qui mérite son lot de gourmandises.

Tout le voisinage se rassemble donc dans notre petite bâtisse en taule pour fêter ça dignement.

Les babillages des femmes vont bon train. Les hommes, eux, jouent aux cartes ou parlent des moissons. Les enfants gesticulent, et moi, je m’assois à même le sol, un livre d’étude sur les genoux. 

Nous sommes bien trop nombreux pour un si petit espace, et je me sens transpirer sous l’effet de la chaleur que nous dégageons. Mais c’est en regardant cette joyeuse cacophonie qui m’entour, que je me rends compte qu’il est parfois bon d’être à l’étroit.

Je tourne les pages de mon livre. C’est Baba qui m’a donné le goût d’apprendre. C’est lui qui me pousse à travailler mon français, mon arithmétique, ma grammaire pour qu’un jour, je devienne une grande institutrice. 

Il me dit : 

– Nour, ne te contente pas de ce qui t’entour. Regarde toujours plus loin, vers la grande ville, vers le savoir, ce puits de savoir qui t’habite. Ne le laisse jamais se tarirent.

– Quelle jolie soirée, je songe. Loader du thé chaud, ma famille, les yeux bruns de Kamel, et la lune qui brille aussi intensément qu’une ampoule.

Et c’est sur cette réflexion que la catastrophe provient.  Elle est annoncée par les bêlements de plus en plus affolés des moutons. Mon cœur se serre brusquement, le tonnerre gronde. Mais non, ce n’est pas le tonnerre, je vibre tout entière, le monde tombe sous mes yeux, et dans un long rugissement, la terre se soulève comme sous l’effet d’un spasme.

Mes entrailles se nouent, ma poitrine est faite de glace, et sans bouger, je vois tout mon univers s’écrouler littéralement sous mes yeux révulsés. Les vitres explosent, la vaisselle éclate, je contemple avec horreur tout le monde autour de moi se couvrir le visage, se recroqueviller en poussant des cris que je n’entends pas.

Je serre les mots contre mon cœur, et en une fraction de seconde, les parois de notre maison, qui me paraissaient si solides, s’écroulent. Tout disparaît sous les décombres. Je ne vois plus rien. Je ne ressens que la douleur, la douleur, la douleur. Elle est si forte !  Tout se mélange dans ma tête. Baba, Mama, Bassime, Kamel, Baba, Bassime, ma maison… je me révulse. Je veux plaquer mes mains sur mes oreilles pour que tout s’arrête. Les cris, ce sifflement qui me vrille les tympans et la douleur. Il faut que je respire. Baba, pourquoi je ne peux plus respirer Baba? Et puis enfin le vide. Les ténèbres ont raison de moi et m’emportent.

Une semaine plus tard.

La peur me tétanise. En voyant les ruines de mon chez moi sous mes yeux, je la sens se refermer autour de moi. Je crie, je crie de toutes mes forces, encore et encore devant ce massacre. Je me griffe le visage, je m’en arrache les cheveux, j’appelle Baba la gorge enrouée. Je ne reconnais plus ma voix.

Quand je tombe à genoux devant les ruines de mon chez moi, je me rends compte que j’ai connu la peur. La vraie, celle qui vous laisse de glace, celle de mourir, de tout perdre, que tout disparaisse. Celle que seuls les sages, ou ceux doués d’une foi sans vergogne arrivent à dompter. Mais je ne suis ni pieuse ni sage, alors je crie encore à m’en déchirer la gorge.

LAZREQ Malak

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