« Le Parisien » était le restaurant le plus luxueux et le plus populaire de tout Paris. Il s’est acquis la renommée par ses lustres inestimables, son argenterie reluisante, sa décoration des plus somptueuses et ses plats exquis dignes des plus grands chefs étoilés. Tous ces éléments en ont également fait un restaurant réputé chez les démocrates du monde entier. Pour un couple de salariés, c’était impensable d’un jour poser le pied dans un endroit aussi fastueux que celui-ci. Ce soir-là, les femmes s’étaient vêtues de leurs plus belles robes et les hommes de leurs costumes les plus chers. Tous souriants et élégants, ils profitaient de leur soirée, un verre à la main.
Soudainement, tous les regards se tournèrent vers la porte d’entrée, où un homme à l’apparence modeste se tenait debout. Il avait l’air perdu et s’était habillé d’une chemise à carreaux, qu’il semblait avoir porté toute la semaine ainsi que d’un pantalon grisâtre, bas de gamme, tâché.
Malgré tous les regards méprisants, il chercha des yeux une place, s’y assit, et commença à feuilleter le menu qui était préalablement posé sur la table. Les serveurs, stupéfaits de cette apparition, songèrent à le renvoyer. Mais après une longue réflexion, l’un d’eux se porta volontaire pour s’en charger, prétendant qu’il serait cocasse de servir un homme de ce rang. Le serveur s’avança vers le nouveau venu et lui dit avec un grand faux sourire :
– Bonsoir, je suis Mathieu et je me ferai le plaisir de vous servir aujourd’hui ! Vous êtes ?
– Hm… Monsieur Martell, répliqua l’homme avec une faible hésitation.
– Et bien, monsieur Martell, qu’allez-vous commander ce soir ?
– Alors, je désirerai, s’il vous plaît, une langoustine rafraîchie au caviar, accompagnée d’une bouteille de Cheval Blanc Saint Emillion 1957.
– Cette bouteille ne vaut pas moins de 12 mille francs vous savez ? rétorqua le serveur en ricanant.
– Je sais, confirma le client sur le ton de la confidence.
Le serveur insista :
– Êtes-vous sûr de votre choix ?
– Tout à fait.
Mathieu, ayant validé la commande du client, alla faire part de cet échange aux autres serveurs qui s’esclaffèrent, sous l’œil de monsieur Martell.
Après avoir fini son dîner, en subissant les regards moqueurs et hautains de Mathieu, monsieur Martell exigea l’addition que le serveur mit 20 minutes à apporter. « Ce montant fait au moins le triple de ton salaire, si tu en as déjà un, minable !», crut entendre monsieur Martell. Celui-ci n’en tint guère compte et, ayant pris connaissances du coût de ses consommations, déposa une somme et s’en alla, rapidement.
Le serveur, récupérant l’addition, fut gêné de découvrir non seulement le montant total du repas, mais aussi un pourboire diablement généreux. Il remarqua également un petit papier posé sur le coin de la table, où était marqué de la plus belle écriture : « Tu es viré. »
Nouvelle réaliste de Kamilia Benkirane et Kamilia Ennafis